L’Adami n’en démord pas: il faut instaurer une «licence légale» pour enfin régler la question des échanges sauvages de fichiers musicaux sur les réseaux peer-to-peer. L’association, société de gestion collective qui représente les artistes interprètes, a tenu un colloque mercredi 16 juin à Paris sur le sujet. Pour l’occasion, la quasi-totalité des représentants de l’industrie de la musique en France avaient fait le déplacement, pour exposer leurs arguments pour ou contre ce projet.
Concrètement, l’Adami et sa collègue la Spedidam proposent de créer un mode de compensation dont la base serait l’abonnement perçu par les fournisseurs d’accès. «Une commission, rassemblant les pouvoirs publics, les ayants droit et les consommateurs en fixerait le montant», explique Xavier Blanc, directeur des affaires juridiques et internationales de la Spedidam.
Les deux associations divergent toutefois sur un point: l’Adami soutient la création d’une licence légale uniquement sur le téléchargement (download), tandis que la Spedidam voudrait que cette licence donne en même temps le droit de mettre à disposition des fichiers sur le net (upload).
Cette dernière solution se heurte à des difficultés juridiques, poursuit Xavier Blanc, car la directive européenne sur les droits de reproduction (EUCD), considère que la mise à disposition d’une œuvre sans autorisation relève de la contrefaçon. Ce texte, adopté en mai 2001 est toujours en attente de transposition en France. Intitulé dans l’Hexagone projet de loi "droits d'auteurs et droits voisins dans la société de l'information", il doit normalement être débattu avant la fin du mois de juillet.
La campagne du Snep encore stigmatisée
«Il faut faire évoluer la législation», souligne le représentant de la Spedidam. «Quand un internaute télécharge un fichier ou le met à disposition dans la logique du peer-to-peer, cela devrait être couvert par une autorisation légale dès lors qu’il n’y a pas de but commercial.» Et selon lui, «cela n’empêchera pas les offres légales de se développer à partir du moment où elles apportent une plus-value (plus d’informations, meilleure qualité des fichiers, ...)».
Ces initiatives sont soutenues par les associations de consommateurs, notamment UFC Que Choisir. «La licence légale peut être une solution, elle a ses avantages et ses inconvénients», déclare Julien Dourgnon, son chargé de mission. «Un des inconvénients serait qu’elle ferait payer des gens qui ne téléchargent pas ou très peu, mais c’est déjà le cas pour la rémunération pour copie privée sur les CD».
D’après lui, le public est d’accord pour rémunérer le travail des artistes, mais ne veut pas se laisser berner par des industries qui tentent de renforcer leur position dominante. Un coup de griffe adressé aux grandes maisons de disque et à leur représentant, le Snep (Syndicat national de l’édition phonographique). Sa campagne publicitaire provocante, destinée à "avertir" les pirates de l’imminence de poursuites judiciaires, est très mal perçue par les artistes interprètes. «Cette campagne est en décalage total avec la réalité», s’indigne Xavier Blanc, «le haut débit est utilisé pour faire circuler des fichiers, donc les solutions d’interdiction pure et simple ne sont pas bonnes. Il faut laisser perdurer l’échange de fichiers entre particuliers».
UPFI et Sacem, mêmes arguments
Leur revendication commence à attirer l’attention de certains parlementaires, qui devront justement plancher sur la transposition de la directive EUCD dans les semaines à venir. Présent lors des débats, Didier Mathus, député PS de Saône-et-Loire, s’est montré presque convaincu: «La législation actuelle est inadaptée à la révolution du peer-to-peer», a-t-il souligné. «Les pistes esquissées par l’Adami et la Spedidam permettent de s’approcher d’une solution intelligente pour la musique». Le député, comme la plupart des intervenants, ont reconnu qu'il en va autrement pour le cinéma, dont la chronologie de distribution (sortie des films en salle, puis en DVD, puis à la télévision) empêche la création d’une telle licence.
Mais ces propositions se heurtent à une forte opposition. Au-delà même des arguments des fournisseurs d’accès, qui voient d’un très mauvais oeil toute tentative de ponction de leurs revenus, l’industrie du disque elle-même mène un véritable combat contre la licence légale. «Vous apportez une mauvaise solution à une bonne question», contre-attaque Jérôme Roger, directeur général de l'Union des producteurs français indépendants (UPFI). «C’est impossible juridiquement et c’est aberrant d’un point de vue économique».
Selon lui, cela reviendrait à augmenter de façon très significative le prix de l’abonnement haut débit, au moment même où le gouvernement veut développer l’usage de l’internet. «Une licence légale créerait un signal fort d’incitation à la piraterie», avec pour conséquence de «tarir les sources des labels de production». Pour le représentant de l’UPFI, qui tient à se démarquer de la ligne dure représentée par le Snep, la solution se trouve dans le développement de modèles économiques payants sur le P2P, à l’instar de ce que fait, par exemple, la société Wippit en Grande-Bretagne.
La Sacem a également fait entendre son désaccord: «Nous ne vous suivons pas [sur la licence légale], car c’est suicidaire pour les auteurs», a lancé le président de son Conseil d’administration, Laurent Petitgirard.
Pour Christophe Espern, l'un des animateurs du collectif EUCD.info qui milite pour la défense de la copie privée, l'instauration d'une licence légale ne résoudra rien. «Il ne faut pas faire de distinction entre download et upload», affirme-t-il à ZDNet. «Le réseau est bidirectionnel et cela ne sert à rien de tenter de réintroduire une rareté artificielle sur le net».
Il estime également qu'il faudrait en priorité régler les problèmes liés au mode de calcul de la redevance pour copie privée, avant d'introduire un mécanisme qui fonctionnerait de la même façon, en étant certainement aussi peu transparent. «Il serait plus sage d'attendre la revue de transposition de la directive EUCD par la Commission européenne, qui doit avoir lieu fin 2004», souligne-t-il, en espérant que les problèmes rencontrés par les différents pays membres de l'Union conduiront Bruxelles à modifier son texte.