Apple a donc ouvert le 15 juin son service en ligne iTunes Music Store en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, en pratiquant le tarif unique et symbolique de 0,99 euro le morceau téléchargé. Un prix calqué sur les 99 cents facturés pour le même service aux États-Unis, mais là-bas, ce montant s'explique par l'absence de "sales tax", la TVA locale redevable dans chaque État et non au niveau fédéral.
Au sein des divisions françaises des maisons de disque EMI et Sony Music, qui ont passé toutes deux un contrat avec Apple, on s'étonne ouvertement qu'Apple ait pu fixer un tel prix en Europe. «Nous nous attendions à un prix de l'ordre de 1,19 euro», confie-t-on chez Sony Music. Même son de cloche chez EMI. D'autant que les deux majors assurent n'avoir consenti aucun tarif préférentiel à Apple, «par respect pour la concurrence».
La firme à la pomme se refuse de son côté à fournir de plus amples détails chiffrés. Les responsables américains du service vedette de la compagnie, en visite le 16 juin à Paris, ont préféré demeurer évasifs sur leur recette. «Tout ce que je peux vous dire, c'est que ce tarif était notre objectif de départ, car il s'agit pour nous du "prix magique"», nous a indiqué Greg Joswiak, l'un des vice-présidents d'Apple Computer (division Hardware Products) en charge de la politique marketing.
Une localisation au Luxembourg pour éviter la TVA à 19,6%?
Le prix du morceau de musique vendu par les maisons de disque est variable. La fourchette est de 50 centimes à 1 euro selon l'ancienneté du titre, nous a confié Sony Music. À cela, il faut ajouter les frais techniques et marketing, ainsi qu'une redevance à la société civile des auteurs-compositeurs (Sacem). Le contrat entre la Sacem et le iTunes Music Store a été révélé le 17 juin: il court sur trois ans, mais la société civile ne donne pas de chiffres. De sources concordantes, il est de 8% du montant final (hors taxe). Un montant qui correspond aux accords déjà passé par la Sacem par le passé, comme l'a précisé Laurent Petitgirard, le président de son conseil d'administration qui s'exprimait mercredi lors d'un colloque organisé par l'Adami, société civile qui représente les artistes interprètes.
Quant à la TVA, au sein des maisons de disque, on a une petite idée: Apple envisagerait de s'implanter au Luxembourg pour profiter des avantages fiscaux locaux. Une information rapportée également par le site Macbidouille.com, qui précise que cela permettrait de payer seulement 3% de TVA.
C'est en fait le premier ministre luxembourgois, Jean-Claude Juncker, qui a alimenté les spéculations. Selon le quotidien local Luxemburger Wort, il a déclaré durant la campagne des élections européennes qu'une firme dont «le nom se traduit par "pomme"» (sic) prévoit de s'installer dans le pays. D'après le quotidien, des discussions entre le gouvernement et Apple auraient même débuté.
En France, à la Direction générale des impôts, il nous a été confirmé que selon l'article 259 du code général des impôts, un prestataire situé dans l'Union européenne, dans le cas d'un service tel que celui d'Apple, paye les taxes du pays où il est localisé et non de celui où est facturé le service.
Contacté ensuite par ZDNet, un porte-parole d'Apple Europe s'est refusé à tout commentaire sur ce point, et n'a pas été en mesure d'indiquer la ou les implantations de l'entité technique chargée de la facturation pour iTunes Music Store en Europe. Pour autant, il nous a confirmé que les trois prochains pays où sera lancé le service sont le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas.
Une marge de 5 à 10 centimes selon EMI
«Au final, leur marge doit être de 5 à 10 centimes par morceau mais pas plus», spécule Hervé Lemaire, directeur des nouveaux médias chez EMI music France.
«Ce qui est certain, c'est qu'Apple a refusé de prendre notre option "exclusivité numérique", le prix le plus élevé de notre catalogue, pour pouvoir maintenir son tarif de 0,99 euro», poursuit le responsable. «Cette option permet de proposer un titre en téléchargement dès sa diffusion à la radio, soit trois à quatre semaines avant son arrivée dans les bacs».
OD2, l'un des concurrents directs d'Apple dans le téléchargement de musique, et le fournisseur des services de téléchargement musicaux de Tiscali, Wanadoo ou MTV, a une explication: «iTunes Music Store sert à vendre des iPod, pas à gagner de l'argent», indique son directeur général pour la France, Stanislas Hintzy. Il rappelle que les morceaux téléchargés sur iTunes Music Store ne peuvent être transférés que sur un iPod, ce qui est «restrictif».
Apple ne se cache pas d'avoir basé son modèle économique sur son baladeur. «Notre approche est globale, nous fournissons une solution musicale de bout en bout, à la fois matérielle et logicielle», explique son vice-président Greg Joswiak «Nous gagnons de l'argent en vendant des iPod, mais il y a en effet peu de revenus à dégager avec le téléchargement de musique.»
1,39 euro en moyenne chez OD2
Le prix d'Apple, fixe et sans engagement ou compris dans un abonnement, est le plus bas du marché. Chez OD2, un morceau vaut 1,39 euro, montant qui descend à 0,65 euro dans le cadre d'une formule prépayée. «Le prix d'Apple pose des problèmes au niveau de la comparaison que peuvent faire les utilisateurs avec nos tarifs», explique Stanislas Hintzy. «Oui, nous sommes plus chers mais notre plate-forme offre plus de fonctionnalités et un catalogue européen plus étoffé», clame le dirigeant d'OD2. Il se veut plus transparent qu'Apple sur sa marge: elle est de l'ordre de 10%.
«La question est de savoir à partir de quel prix peut-on écouter légalement de la musique sur le net, et ensuite avec quel baladeur. Notre solution débute à 0,01 euro pour écouter un morceau en streaming, et [nos formats] sont compatibles avec 70 baladeurs du marché, dont le premier prix débute à 99 euros», indique-t-il. Inquiet, OD2? «Notre clientèle et celle d'Apple ne sont pas forcément les mêmes. Je demeure convaincu qu'il y a de la place pour tout le monde.»
Par Christophe Guillemin
ZDNet France
Vendredi 18 juin 2004