Le Snep serait-il pris entre le marteau et l'enclume? Le Syndicat national de l'édition phonographique, autrement dit le groupement des principales majors du disque, a essuyé depuis une semaine plusieurs revers dans sa guerre contre le téléchargement sauvage de musique sur internet.
Encore sous le coup de la sortie virulente, lundi dans Le Parisien, du ministre de l'Industrie Patrick Devedjian, le directeur général du Snep, Hervé Rony, a accepté de commenter pour ZDNet la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN).
Le dirigeant du Snep estime que, dans l'ensemble, elle est satisfaisante, «mais qu'en effet il existe un espace pour savoir si un contenu protégé par la propriété intellectuelle, diffusé illégalement, est un contenu "manifestement illicite"; il va falloir s'en remettre à la jurisprudence.»
Manifestement... mécontent
Comme nous l'avons rapporté mardi 15 juin, le Conseil constitutionnel a émis une réserve sur une disposition de la LCEN, portant sur le nouveau régime de responsabilté des intermédiaires techniques de l'internet (FAI et hébergeurs). La question était de savoir comment leur responsabilité devait être engagée face à un contenu litigieux (images, propos, documents, etc.) qui leur serait rapporté par un tiers.
Le Conseil, après une explication alambiquée sur son choix de ne pas censurer des dispositions adoptées dans le cadre d'une directive européenne, a tout de même donné un avis directif. Il considère notamment qu'il revient au juge, et à lui seul, de déterminer exactement le caractère illicite d'un contenu. Sauf sur un point: en cas de contenu «manifestement illicite», l'hébergeur pourrait donc être tenu pour responsable s'il n'agit pas promptement.
«Nous persistons, vous vous en doutez», poursuit Rony, «à dire que la présence illégale de titres de nos catalogues est manifestement illicite car nous savons quand même, jusqu'à preuve du contraire, quels artistes ou non nous ont autorisés à exploiter leurs interprétations». «C'est pareil pour le répertoire Sacem», dit-il.
Cette interprétation a été pourtant contredite par le secrétaire général du Conseil, qui s'exprimait lors d'une explication de texte pour la presse, le 15 juin. Ce haut fonctionnaire avait alors considéré que le terme "manifestement" se rapportait à des cas d'illégalité flagrants, comme des propos ouvertements racistes ou xénophobes, ou encore des images pédophiles. Mais en aucun cas, avait-il estimé, les atteintes au code de la propriété intellectuelle (CPI) ne pourraient être considérés comme un cas manifeste.
Après "économie numérique", objectif "informatique et libertés"
Un procédé très contestable, d'après Hervé Rony: «Ce qui m'a sidéré c'est la conférence de presse du secrétaire général du Conseil constitutionnel, qui a dit que "manifestement" ne s'appliquait pas forcément à tous les propos racistes!.. Ravi de savoir qu'on peut être "un peu" raciste!... Dans ces conditions, la marge d'interprétation reste donc large.»
Cette marge d'interprétation n'est pas faite non plus pour rassurer les hébergeurs (surtout les indépendants, aux ressources limitées) qui devront donc, à un moment où à un autre, exercer sur leurs contenus une surveillance, ou une vérification, pour préjuger du fameux caractère manifeste. Dans ce cas, la ligue Odebi a peut-être crié «victoire quasi-totale» un peu vite, selon un communiqué du 21 juin.
Le Snep a également dans le collimateur le projet de loi de réforme informatique et libertés, dont le retour au Parlement est programmé cette semaine, rappelle le collectif Delis dans une tribune publiée par le journal Le Monde (daté du 18 juin). «Ce texte, en l'état, est liberticide, puisqu'il vise entre autres à confier à des personnes morales un droit de constitution de véritables casiers judiciaires, non seulement pour la lutte contre les infractions – notamment, mais non exclusivement, les atteintes à la propriété intellectuelle –, mais de surcroît en vue de leur prévention», indique Delis, dont est membre, notamment, la Ligue des droits de l'homme (LDH).
Les pouvoirs visant à créer de tels casiers judiciaires "préventifs" pourraient se baser sur la récolte des adresses IP utilisées par les internautes suspects de piraterie quelconque. L'organisme habilité, au sein de l'industrie du disque, à effectuer de tels relevés nominatifs ne sera pas le Snep en tant que tel, nous a par ailleurs indiqué Hervé Rony. Il s'agira de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), créée en 1985 et qui représente quelque 700 producteurs de disques et de vidéoclips. La SCPP mène déjà de multiples actions de répression via son «Bureau anti-piraterie»; son président est actuellement Pascal Nègre, le très médiatique patron d'Universal Music France.