Tout un symbole, Alexis (*) est le premier internaute en France poursuivi au pénal par les producteurs et les maisons de disques. Ce professeur de français de 28 ans comparaissait, mercredi 15 décembre, devant le tribunal correctionnel de Pontoise (Val-d'Oise) pour avoir téléchargé et mis à disposition sur un réseau peer-to-peer dix mille fichiers musicaux, entre août 2003 et août 2004.
Il avait été arrêté le 18 août par les gendarmes de la brigade "anti-cybercriminalité" de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), après le dépôt d'une plainte de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep). Rappelons que ces organismes ont engagé depuis juin dernier une vaste offensive judiciaire en portant plainte contre une cinquantaine d'adeptes des réseaux P2P.
Le procureur de la République a requis contre Alexis 1.500 euros d'amende, la publication du jugement dans deux quotidiens nationaux et la confiscation du matériel informatique du prévenu. De leur côté, les parties civiles ont réclamé au total 28.366 euros des dommages et intérêts.
Le simple téléchargement visé
Pour sa défense, l'enseignant a affirmé ne pas avoir partagé ses fichiers. «Je nie avoir mis à disposition ma musique sur internet», a-t-il martelé durant l'audience, selon l'AFP. Il a expliqué qu'une «astuce» du logiciel d'échange de fichiers qu'il utilisait, lui permettait de télécharger sans partager. «Qu'il ait ou pas mis à disposition (des fichiers) ne changera rien, l'infraction est constituée», a rétorqué le procureur de la République.
Cette infraction est la contrefaçon. Elle est encadrée par l'article L335-2 du code de la propriété intellectuelle, qui prévoit comme sanction jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 300.000 euros d'amende. D'autres articles tels que le L122-4 traitant de la copie privée et de la reproduction d'œuvres sans le consentement de l'auteur ont également été invoqués. Reste que l'interprétation de la loi par le procureur laisse sceptique la défense.
«Jusqu'alors seule la mise à disposition était considérée comme une infraction, c'est désormais le simple téléchargement qui est pris pour cible», explique à ZDNet Murielle Cahen, avocate d'Alexis. Elle précise par ailleurs que son client n'a jamais commercialisé de fichiers téléchargés. Et de citer en référence la récente loi espagnole, qui ne condamne que la vente de musique téléchargée sans le consentement de son auteur.
Le tribunal a mis sa décision en délibéré et se prononcera le 2 février 2005. Par ailleurs, un nouveau procès en correctionnel doit s'ouvrir à Reims la semaine prochaine pour les mêmes motifs.
Les FAI désabonnent des utilisateurs de P2P
Parallèlement à cette action pénale, la SCPP a saisi en novembre le tribunal de grande instance de Nanterre afin d'obtenir la résiliation d'abonnements internet auprès de plusieurs fournisseurs d'accès.
«Des procédures en civil ont débuté auprès d'au moins trois FAI», indique à ZDNet Stéphane Marcovitch, délégué général de l'Association des fournisseurs d'accès et de services internet (AFA). Si le responsable ne souhaite pas nommer les FAI concernés, il confie toutefois que «seulement une dizaine d'abonnés ont vu leur accès coupé».
La SCPP n'a pas accès à l'identité des personnes concernées et ne dispose que de leur adresse IP, assure-t-on à l'AFA. Ces adresses sont collectées par des agents assermentés de la SCPP qui arpentent les réseaux P2P à la recherche de gros utilisateurs. «Il n'y a pas de "blacklistage" des abonnés», assure également Stéphane Marcovitch. Pas de conséquences en dehors de la privation d'accès? «Ils doivent payer des frais pour se réabonner», confie le responsable.
Ces actions ont été rendues possibles grâce à la récente loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) qui permet à un juge de décider la coupure d'un accès internet. Elles découlent également de la charte d’engagements, signée en juillet entre producteurs et fournisseurs d’accès à internet, sous l’égide de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Économie.
Contacté par ZDNet, la SCPP s'est refusé à tout commentaire sur ces actions en cours, notamment sur les critères pour différencier les "petits" des "gros" fraudeurs, lesquels faisant donc l'objet de poursuites pénales.
(*) Alexis est un pseudonyme pour respecter la volonté d'anonymat du prévenu.