SAN FRANCISCO – Une étude universitaire américaine (*), dont les résultats ont été publiés lundi 29 mars, conclut que le téléchargement "peer-to-peer" ne joue qu'un rôle minime dans la diminution des ventes de CD.
L'étude a été réalisée par deux professeurs: Felix Oberholzer de la Harvard Business School, et Koleman Strumpf de l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill. Pour les besoins de leurs travaux, ils ont analysé les téléchargements de fichiers musicaux pendant 17 semaines, au cours de l'année 2002. Ils ont ensuite mis en correspondance les données sur ces transferts de fichiers avec les réelles performances des ventes des mêmes chansons et albums. Ils ont ainsi constaté que les échanges de fichiers, même à un niveau élevé, semblaient se traduire par un impact sur les ventes d'albums «statistiquement proche de zéro».
«Nous avons découvert que le partage de fichiers n'avait eu qu'un impact limité sur les ventes de disques», rapporte les auteurs. «Bien que des téléchargements se produisent à grande échelle, la majorité des utilisateurs sont des individus qui n'auraient pas acheté l'album, même en l'absence du partage de fichiers.»
Cette étude est, à notre connaissance, la modélisation économique la plus détaillée sur des données directement issues des réseaux de partage de fichiers. Elle va, à coup sûr, raviver le débat sur les effets des logiciels populaires comme Kazaa ou Morpheus sur une industrie du disque en perte de vitesse.
Concurrence accrue des marchés du DVD et des jeux vidéo
Les grandes maisons de disques ont vu leurs ventes chuter ces dernières années et ont accusé les téléchargements gratuits de musique d’être en grande partie responsables de leur perte de revenus. D’autres ont mis en avant des facteurs supplémentaires, tels qu’une baisse des dépenses des ménages pendant la récession et une concurrence accrue d’autres formes de loisirs comme les DVD et les jeux vidéo; ces deux secteurs ayant enregistré une croissance sur la même période (Lire à ce sujet l'entretien qu'a accordé le directeur du disque de la Fnac à ZDNet France).
Les responsables des systèmes d'échange de fichiers se sont réjouis de cette étude, espérant qu'elle inciterait les dirigeants des maisons de disques à utiliser des réseaux peer-to-peer pour distribuer la musique. «Nous sommes favorables aux recherches pertinentes dans l'industrie croissante du peer-to-peer, et cette étude semble avoir couvert un terrain intéressant», a déclaré Nikki Hemming, P-DG de Sharman Networks, la société australienne qui a racheté Kazaa. «Vous imaginez le potentiel si l'industrie du disque coopérait réellement avec des sociétés telles que la nôtre, au lieu de nous faire la guerre?»
Les deux chercheurs ont utilisé les fichiers "logs" (de connexion) de deux serveurs OpenNap fin 2002, pour observer environ 1,75 million de téléchargements sur 17 semaines. Cet échantillon a permis d'obtenir d'intéressantes données comportementales et économiques. Ainsi, les chercheurs ont constaté que l'utilisateur lambda ne s'était connecté que deux fois sur cette période, téléchargeant 17 chansons environ. Certaines personnes ont, toutefois, largement dépassé cette moyenne; un internaute se serait ainsi connecté 71 fois, téléchargeant plus de 5.000 fichiers musicaux.
Selon l'étude, 5.000 téléchargements d'un album annulent la vente d'un CD
Felix Oberholzer et Koleman Strumpf ont restreint leur base en choisissant, au hasard, un panel de 500 albums à partir de l'évolution des ventes de divers genres musicaux; ils ont ensuite comparé les ventes de ces albums avec le nombre de téléchargements correspondants. Même dans la version la plus pessimiste de leur modèle, ils ont découvert qu'environ 5.000 téléchargements d'un même album créerait un manque à gagner équivalent à la vente d'un seul CD physique. Aussi, malgré les proportions phénoménales qu'ont pris ces téléchargements dans le monde, ceux-ci ne contribueraient que pour une infime partie à la baisse des ventes d'albums au cours des dernières années, rapportent les chercheurs.
Leurs données semblent même montrer que les téléchargements pourraient avoir un léger impact positif sur les ventes d'albums phare, ajoutent-ils. Leur étude n'aura certainement pas le dernier mot dans cette affaire. De précédentes analyses ont montré que le partage de fichiers avait aussi bien des effets positifs que négatifs sur les ventes de disques.
Le syndicat des maisons de disques américaines, RIAA (Recording Industry Association of America), s'est empressé de rejeter ces résultats, les jugeant incohérents avec leurs propres données. «De très nombreux groupes et analystes très respectés, dont Edison Rester, Forester et l'Université du Texas, entre autres, ont tous déterminé que le partage illégal de fichiers avait un impact nuisible sur les ventes de CD», martelle Amy Weiss, porte-parole de la RIAA. «Nos propres études montrent que les personnes qui téléchargent le plus de fichiers sont celles qui achètent le moins de CD.»
Par John Borland
CNET News.com